PARTIE I.
A HÉDIBIA.
Quoique je n'aie jamais eu l'honneur de vous voir, et que je ne vous connaisse que par la réputation que vous vous êtes acquise dans le monde par l'ardeur de votre foi, cependant vous m'écrivez des extrémités des Gaules et vous venez me chercher jusqu'au fond du désert de Bethléem, pour m'engager à répondre aux questions que vous me proposez sur l'Ecriture sainte, et sur lesquelles vous m'avez envoyé un petit mémoire par mon fils Apodemius. N'avez-vous pas dans votre province des personnes consommées dans la science de la loi de Dieu, et capables de vous instruire et d'éclaircir vos doutes? Mais peut-être ne cherchez-vous pas tant à vous instruire vous-même qu'à éprouver ma capacité; et après avoir consulté les autres sur les difficultés qui vous arrêtent vous voulez encore savoir ce que j'en pense. Vos ancêtres Patère et Delphide, dont l'un a enseigné la rhétorique à Rome avant que je fusse au monde, et l'autre durant ma jeunesse a illustré toutes les Gaules par les beaux ouvrages qu'il a composés tant en prose qu'en vers, tout muets qu'ils sont dans leur tombeau, me font de justes reproches de la liberté que je prends de donner des instructions à une personne de leur famille. Ils excellaient, je l'avoue, dans l’éloquence et dans les lettres humaines ; mais je puis dire aussi, sans craindre de rien dérober à leur gloire, qu'ils n'étaient guère versés dans la science de la loi de Dieu, dont personne ne peut être instruit que par le Père des lumières « qui éclaire tout homme venant en ce monde, » et qui se trouve au milieu des fidèles assemblés en son nom.
Je vous déclare donc, sans craindre qu'on m'accuse de vanité, que dans cette lettre je ne me servirai point de ces termes pompeux « qu'enseigne la sagesse humaine que Dieu doit détruire un jour,» mais de ceux qu'enseigne la foi, traitant spirituellement les choses spirituelles, afin que « l'abîme » de l'Ancien-Testament « attire l’abîme» de l'Evangile « au bruit que font les eaux, » c'est-à-dire: les prophètes et les apôtres, et que la «vérité » du Seigneur » s'élève jusqu'à ces « nuées » à qui il a commandé de ne point pleuvoir sur les Juifs incrédules et d'arroser au contraire les terres des gentils, de « remplir le torrent des épines » et d'adoucir les eaux de la mer Morte. Priez donc le véritable Elisée de vivifier les eaux mortes et stériles qui sont en moi, et d'assaisonner le mets que je vous présente avec le sel des apôtres, à qui il a dit «Vous êtes le sel de la terre, » parce qu'on n'offre point à Dieu de sacrifice qui ne soit assaisonné avec le sel. Ne cherchez pas ici le faux éclat de cette éloquence mondaine que Jésus-Christ « a vu tomber du ciel comme un éclair, » jetez plutôt les yeux sur cet « homme de douleur qui n'a ni beauté ni agrément,» et qui sait ce que c'est que de souffrir, et croyez qu'en répondant aux questions que vous me proposez, ce n'est pas sur mon érudition et ma capacité que je compte, mais sur la promesse de celui qui a dit : « Ouvrez votre bouche et je la remplirai. »
