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Votre Sainteté, en me proposant la difficulté, l'a expliquée elle-même; et interroger de sorte, c'est mettre sur la voie ceux que l'on interroge. En effet, il y a de grandes lumières ms une demande sagement posée. « Quel est, dites-vous, ce père dont parle l'Évangile, qui partage son bien à ses deux enfants? quels sont ces deux fils? Le plus jeune, après avoir dissipé son patrimoine avec des courtisanes, tombe dans le dénûment, et se trouve réduit à garder les pourceaux et à se nourrir de racines; puis il retourne près de son père, qui lui donne un anneau et une robe et fait tuer un veau gras pour le recevoir. Son frère aîné revient des champs et porte envie à l'accueil que l'on fait à son frère. « Je sais, » ajoutez-vous, « que les commentateurs expliquent différemment cette parabole : quelques-uns pensent que le fils aîné représente le peuple juif, et que le puîné est la figure des gentils. » Mais, je le demande, comment peut-on appliquer au peuple juif ce que dit le fils aîné: « Voilà déjà bien des années que je vous sers sans vous désobéir en rien, et jamais vous ne m'avez donné un chevreau pour me réjouir avec mes amis; » et ce que lui répond son père: « Mon fils, vous êtes toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à vous? » Si, d'accord avec vous, nous voulons y voir le symbole du juste et du pécheur, comment peut-on concevoir que le juste s'afflige du salut de son prochain, et surtout de son frère? Car, si la mort est entrée dans le monde par l’envie du démon, et si les partisans de l'esprit malin sont ses imitateurs, peut-on attribuer à un homme juste cette hideuse jalousie qui porte le fils aîné de la parabole à demeurer sur le seuil de la maison, à opposer tant de froideur aux caresses de son père, et à rester seul, le front pâle, le coeur ulcéré, sans vouloir prendre part à la joie de la famille? Il faut donc que nous examinions le motif et l'occasion qui ont inspiré ces paroles au Sauveur, de même que nous avons coutume de le faire pour toutes les paraboles dont Jésus-Christ lui-même n'a pas révélé le sens.
Les publicains et les pécheurs se tenant auprès de Jésus pour l'écouter, les scribes et les pharisiens en murmuraient et disaient: «Pourquoi cet homme reçoit-il les pécheurs et mange-t-il avec eux? » Leur jalousie venait de ce que le Seigneur ne dédaignait pas de manger et de s'entretenir avec des gens que la loi de Moise condamnait. Tel est le récit de saint Luc; voici celui de saint Mathieu: « Jésus étant à table dans une maison, il y vint beaucoup de publicains et de gens de mauvaise vie, qui se placèrent près du Seigneur et de ses disciples. Alors les pharisiens dirent à ces derniers: « Pourquoi votre maître mange-t-il avec des pécheurs et des publicains?» Jésus les ayant entendus, leur dit: « Ce ne sont pas les sains, mais les malades qui ont besoin de médecin. Allez, et apprenez cette parole : j'aime mieux la miséricorde que le sacrifice; car je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. » Saint Marc se sert des mêmes termes. C'était donc au nom des préceptes de la loi que les pharisiens élevaient leurs murmures. Cette loi, d'une justice rigoureuse, fie connaissait pas la clémence : point de pardon pour l’adultère, l’homicide, le faussaire; le crime ne pouvait se soustraire à l’expiation ; il fallait donner oeil pour oeil, dent pour dent, vie pour vie. « Tous s'étaient détournés du droit chemin et étaient devenus inutiles : il n'y en avait point qui fissent le bien, il n'y en avait pas un seul. Mais où avait abondé le péché Dieu a répandu une surabondance de grâces. (Rom.3.) Il a envoyé son fils, né d'une femme, lequel, brisant la muraille qui séparait le juif du gentil, de ces deux peuples n'en a fait qu'un, et a adouci par la grâce de l'Evangile la rigueur et l'austérité de la toi. » (Galat. 4. Eph. 2) C'est ce qui fait dite à saint Paul, écrivant aux fidèles : « Que Dieu, notre père, et notre Seigneur Jésus-Christ vous donnent la grâce et la paix;» sa grâce qui n'est point due à nos mérites, mais que nous recevons de la bonté de celui qui la donne; la paix qui à opéré 'notre réconciliation avec Dieu, et que nous devons à la médiation de Jésus-Christ. Car Jésus nous a pardonné nos péchés, il a anéanti, en l'attachant à sa croix, ce contrat de mort qui pesait sur nous, et il a mené en triomphe les puissances et les principautés, après les avoir vaincues sur la croix.
