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Et qu'on ne me dise pas que c'est lorsqu'il pleurait ses péchés que David a écrit ce psaume (le VI e ) ; c'est une erreur, et le titre qu'on lit en tête ne permet pas cette supposition. Sans doute, si nous n'avions pas à présenter un titre indiquant le sujet du cantique, il serait permis de dire que l'objet du saint roi , dans ce psaume, était de pleurer son péché: mais dès lors que nous savons très-bien quel est le psaume qui a rapport au péché de David, et que, d'ailleurs, un sujet différent est assigné à celui-ci; de grâce, ne bouleversons pas à plaisir les vérités révélées dans les saintes Ecritures, et ne préférons pas, comme plus exacts, nos propres raisonnements, aux instructions données par l'Esprit-Saint. Quel est le titre du psaume en question? le voici Pour l'octave. Mais cette octave, ou huitième jour, qu'est-ce autre chose, sinon le jour du Seigneur, jour grand et terrible, qui est embrasé comme une fournaise, qui fait trembler les vertus d'en-haut elles-mêmes. Car, dit le Sauveur, les vertus des cieux seront ébranlées (Matth. XXIV, 29); jour, enfin, qui nous montre le feu marchant devant le Roi de l'éternité? Or, le Prophète a appelé ce jour octave, ou huitième, pour indiquer le changement de l'ordre actuel des choses, et le renouvellement qui s'opérera à la fin du monde. Car la vie présente n'est qu'une semaine de jours ou d'époques. Elle commence le premier jour, pour s'arrêter au septième. Arrivée à celui-ci, qui est la fin de sa course, elle remonte au premier, pour redescendre encore au dernier, tournant sans cesse dans le même cercle; c'est pourquoi personne ne dira jamais que le dimanche soit le huitième jour, c'est le premier : car le cercle de la semaine ne s'étend pas jusqu'au nombre de huit. Lorsque l'ordre actuel aura cessé, et que toutes choses auront été dissoutes, l'octave, ou jour huitième, commencera; celle-ci ne remontera pas au premier jour, mais elle prendra son cours et se développera dans les espaces ultérieurs.
Le Prophète avait donc toujours présent le souvenir du jugement, tant la componction l'avait gravé profondément dans son coeur ! Et c'est au sein même des honneurs et de l'opulence qu'il méditait sans cesse au dedans de lui la pensée de ce jugement : tandis que nous, même dans nos tribulations et dans notre bassesse, à peine le rappelons-nous à notre mémoire. C'est sous l'impression des jugements de Dieu, objet de ses continuelles méditations, que le roi David a écrit ce psaume sixième.
Seigneur, dit-il, ne me reprenez pas dans votre fureur, et ne me châtiez pas dans votre colère; voulant indiquer par ces mots fureur et colère la grandeur du supplice qu'il redoutait, car il savait que la divinité est exempte de toute passion. Tels étaient ses sentiments : et cependant il avait la conscience de ses oeuvres , oeuvres dignes non de châtiments et de supplices, mais de récompenses et de couronnes. Voulez-vous savoir quels étaient les mérites du saint roi? C'était, par exemple, sa foi par laquelle il renversa les tours et les forteresses des nations étrangères, arracha des portes mêmes de la mort tout le peuple d'Israël; c'était cette bonté tant de fois signalée envers son ennemi; c'était surtout le jugement que Dieu a porté sur lui, jugement qui manifestait assez toute la vertu de ce grand homme, et qui établissait sa sainteté, mieux encore assurément que toutes ses plus belles actions. Car les oeuvres de l'homme, même les plus grandes et les plus admirables, sont susceptibles d'être attaquées; on peut en contester la sainteté , parce qu'on en peut toujours suspecter l'intention, quoique les actions de ce juste n'aient jamais été l'objet d'aucun mauvais soupçon ; mais enfin, quand c'est Dieu même qui rend témoignage , il est impossible de le récuser; si David n'eût pas donné des preuves très-certaines de sa vertu, jamais il n'eût été préconisé par le ciel même.
Maintenant, que dit Dieu au sujet de ce grand homme? J'ai trouvé en David, fils de Jessé, un homme selon mon coeur (I Rois, XIII, 14.) Voilà le suffrage que Dieu accorde à David. Et toutefois, après un pareil témoignage, comme aussi après tant d'actes de vertu, le saint 'roi parlait comme feraient des réprouvés, et comme feraient aussi ceux qui n'ont aucune confiance en Dieu; accomplissant par là ce que dit l'Evangile : Lorsque vous aurez tout fait, dites, nous sommes des serviteurs inutiles. (Luc, XVII, 10)
Qu'est-ce que disait de plus que le saint roi ce publicain qui était véritablement rempli de péchés, et qui n'osait ni regarder le ciel , ni se répandre en paroles, ni se tenir à côté du pharisien? Vous savez comment le superbe pharisien insultait à l'humilité du pauvre publicain, en disant : Je ne suis pas comme les autres hommes, voleurs, injustes, adultères; ni comme ce publicain. (Luc XVIII, 11.) Vous savez avec quelle modestie celui-ci reçut l'insulte, comme s'il n'eût rien entendu d'offensant; nons-eulement il ne s'indigna point, mais encore il témoigna tant d'égards à cet insolent, à ce superbe, qu'il ne se croyait pas digne de toucher la terre foulée par les pieds du pharisien : il ne proféra pas une plainte; il confessa ses péchés , en se frappant humblement la poitrine, et en suppliant Dieu de lui être propice.
Du reste, que ce publicain ait agi de la sorte, il n'y a en cela rien d'étonnant : la multitude de ses péchés le forçait, bon gré mal gré, de tenir les yeux baissés à terre. Mais que le juste se condamne lui-même, bien qu'il n'ait la conscience d'aucun péché, et qu'il se condamne comme a fait le publicain, c'est là un prodige, et la marque d'un coeur vraiment contrit. Car enfin, ces paroles : Soyez-moi propice, parce que je suis pécheur (Luc, XVIII, 13), en quoi diffèrent-elles de celles-ci : Seigneur, ne me reprenez pas dans votre fureur, et ne me châtiez pas dans votre colère ? Celles-ci renferment même quelque chose de beaucoup plus fort que celles-là. Le publicain , il est vrai, n'osa pas lever les yeux au ciel, mais le juste David fit quelque chose de plus. Le premier disait : Soyez-moi propice. Le second n'eut pas la hardiesse de prononcer cette parole : car il ne dit pas simplement : Ne me reprenez point; mais il ajoute : dans votre fureur. Il ne dit pas non plus : Ne me châtiez pas, mais il ajoute : dans votre colère; priant Dieu non de n'être point puni, mais de l'être moins sévèrement. En sorte que l'humilité de son âme nous apparaît de toutes façons, elle lui fait croire qu'il mérite de sévères châtiments, elle fait encore qu'il n'ose demander à Dieu une indulgence pleine et entière ce qui est le propre de ceux qui se jugent très-coupables et se regardent sincèrement comme étant plus pécheurs que tous les hommes.
Ce n'est pas tout. Ce qu'il y a de plus fort encore, c'est que cette grâce même de ne pas être si sévèrement puni, il ne voulait l'attendre que de la miséricorde et de la clémence de Dieu, parce qu'il était un pauvre infirme : Ayez pitié de moi, dit-il, car je suis infirme. (Ps. VI, 3.) Qu'est ceci? Cet homme, qui a été honoré d'un tel témoignage, et qui n'avait pas oublié les jugements de Dieu: Car, dit-il, vos jugements, ô mon Dieu, je ne les ai point oubliés (Ps. CXVIII, 30) ; cet homme, qui brille d'un plus vif éclat que le soleil, est-ce bien ce même homme qui parle ainsi? Oui, c'est lui-même. Assurément, c'est quelque chose de prodigieux, que ce saint roi, après avoir opéré tant d'œuvres éclatantes, n'ait jamais rien dit ni pensé de grand de lui-même, mais qu'il se soit cru le dernier des hommes, et qu'il n'ait attendu son salut que de la seule bonté de Dieu, comme s'il eût dit Oui, je me reconnais très-digne de vos vengeances, et même de supplices sans fin : toutefois, puisque je succombe sous vos coups, je vous prie de m'accorder la délivrance des maux qui m'accablent : c'est absolument le langage de ces esclaves, coupables de mille forfaits, qui, au milieu du supplice, ne pouvant dire qu'ils sont innocents pour obtenir merci, supplient néanmoins qu'on veuille bien leur faire grâce d'une partie du châtiment qu'ils méritent, parce que la douleur des coups qu'ils reçoivent devient intolérable.
David veut parler d'une autre infirmité encore. De laquelle? de celle qui provenait de ses angoisses de coeur, et de ses gémissements. Quand la douleur est extrême et qu'elle nous accable, elle ôte à l'âme toute sa force. Or, les souffrances de ce juste venaient , je pense, de ce qu'il se jugeait lui-même avec une grande sévérité, de ce qu'il n'osait se promettre rien de bon pour l'avenir, de ce qu'il avait continuellement devant les yeux les châtiments qu'il croyait mériter. Au reste ceci devient évident par ce qu'il ajoute. Après avoir dit : Seigneur, ne me reprenez pas dans votre fureur, il continue: Ayez pitié de moi, parce que je suis infirme; guérissez-moi, Seigneur, parce que mes os sont ébranlés, et que mon âme est dans un grand trouble. (Ps. VI, 3.)
Si ce grand homme, dont la conscience était extrêmement pure, demande qu'il ne soit point fait une recherche exacte de ses actions, qu'on ne lui fasse pas rendre un compte rigoureux de sa vie, que devons-nous faire, nous pécheurs, nous couverts d'iniquités innombrables, nous, qui sommes loin d'avoir les mêmes motifs de confiance, et qui n'avons imité en rien ce juste dans l'humilité de sa confession? Pourquoi donc ce bienheureux s'accusait-il de la sorte? Ah ! c'est qu'il savait très-bien que personne ne sera justifié devant Dieu, et que le juste lui-même se sauvera à peine. C'est pourquoi, craignant le Seigneur, il lui dit tantôt : N'entrez pas en jugement avec votre serviteur (Ps. CXLII, 2), et tantôt : Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme.
