5.
Certes, s'il est une chose digne d'être particulièrement remarquée, c'est que David ne fait aucune mention de ses bonnes oeuvres, et que, dans l'affaire de son salut, il se repose uniquement sur la bonté de Dieu.
Voilà bien les dispositions d'un coeur contrit et d'un esprit humilié; et voilà aussi pourquoi ce prince, après avoir opéré de grandes choses, craignait et tremblait plus que les pécheurs. Voulez-vous la preuve de ses appréhensions et de ses frayeurs ? écoutez-le : Seigneur, Seigneur, s'écrie-t-il, si vous observez les iniquités, qui soutiendra cette épreuve ? (Ps. CXXIX, 3.) Il savait, le saint homme, il savait fort bien que nous avons contracté envers Dieu des dettes sans nombre, et que les moindres péchés méritent de grands châtiments. Ce saint prophète voyait d'avance les lois que le Christ devait porter lorsqu'il viendrait ; il voyait qu'une rigoureuse punition est réservée, non pas seulement au meurtre, mais encore à toute parole injurieuse et outrageante, aux pensées mauvaises, au rire, aux paroles inutiles, à la bouffonnerie et à d'autres fautes encore plus légères. Voilà pourquoi saint Paul, lui aussi, à qui d'ailleurs la conscience ne reprochait rien, disait : Ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas justifié pour cela. (I Cor. IV, 4.) Et pourquoi donc? parce que, n'eût-il précisément rien fait de mal, et du reste il en était là, il n'estimait pas avoir entièrement payé le tribut d'honneur qu'il devait à Dieu. En effet , eussions-nous souffert mille fois la mort, eussions-nous présenté le spectacle de toutes les vertus, nous n'avons encore rien fait pour reconnaître dignement les honneurs dont Dieu nous comble.
Dieu, qui n'avait nul besoin de nous ni de nos hommages, mais qui se suffit à lui-même, nous a fait passer du néant à l'être : par un privilège unique, il nous a donné une âme raisonnable; il a planté pour l'homme un jardin de délices; il a étendu les cieux sur nos têtes, et affermi la terre sous nos pieds; il a allumé sous la voûte céleste de brillants flambeaux; il a orné de lacs, de fontaines, de rivières, de fleurs et de plantes, il a embelli magnifiquement la terre que nous habitons. Quant au ciel, il l'a orné, en y disposant avec ordre l'armée si nombreuse et si variée des étoiles. Que dire de la nuit? La nuit ! il l'a rendue non moins utile que le jour, grâce au repos et aux forces que le sommeil nous procure, le sommeil qui n'est pas moins nécessaire à nos corps que les aliments : on verra même des hommes braver la faim pendant bien des jours, et ne pouvoir se passer de sommeil aussi longtemps. Le soir, lorsqu'après les feux et les travaux du jour nous nous sentons épuisés de chaleur et de fatigue, c'est encore le bienfaisant sommeil qui vient rafraîchir nos membres, les délasser, et nous communiquer une nouvelle vigueur pour reprendre nos occupations. Arrive la saison d'hiver: alors les longues nuits , en nous forçant de rester dans nos demeures, nous apportent un soulagement plus complet. Ce n'est pas en vain, ni sans raison que les ténèbres occupent le temps réservé au repos; car, de l'obscurité naît une tranquillité plus parfaite. De même qu'une mère toute tendre et tout aimante, lorsqu'elle veut endormir son enfant qui pleure , prend son cher nourrisson dans ses bras, lui couvre les yeux d'un pan de son manteau pour appeler plutôt le sommeil; de même aussi notre Dieu bon étend sur la terre l'obscurité comme un grand voile, pour obliger les hommes à suspendre leurs travaux. S'il n'en était ainsi, nous serions sans cesse torturés et par la manie des affaires, et par la soif insatiable de l'or, et par le prolongement de travaux sans fin; mais Dieu, dans sa bonté, nous force de mettre, même malgré nous, un terme à nos labeurs. Heureux ordre de choses, qui donne tant de repos à nos corps, et qui n'en procure pas moins à nos âmes !
En effet, que dire du calme qui règne alors? que dire de cette tranquillité universelle, de ce silence de toutes choses, qui exclut tout bruit, toute agitation? Dans cette quiétude des nuits, on n'entend plus, comme pendant le jour, de ces voix lugubres qui retentissent de partout. Durant le jour, en effet, que de cris poussés de toutes parts ! Les uns se plaignent de leur pauvreté; les autres, des torts qu'on leur a faits; ceux-ci se lamentent à cause de leurs infirmités ou de la perte de leurs membres; ceux-là pleurent la mort de leurs proches; d'autres, la perte de leur argent; d'autres enfin gémissent sur telle et telle des calamités humaines : et elles sont si nombreuses ! La nuit arrache les hommes à tous ces maux, comme à autant de tempêtes, elle les fait jouir, ainsi que dans un port assuré, des douceurs du repos. Tels sont les grands biens que la nuit nous procure; quant aux avantages que le jour nous apporte, ils sont trop nombreux et trop connus pour que j'entreprenne de les décrire.
Admirez aussi les facilités du commerce. Pour que les distances ne fussent pas un obstacle aux relations des hommes entre eux, Dieu a distribué dans toutes les parties du globe les eaux de la mer, destinées à rapprocher les nations. Vivant sur la terre comme des frères dans une seule maison, les peuples peuvent aller souvent les uns chez les autres, se communiquer sans peine et réciproquement leurs biens, leurs avantages. Enfin, chacun de nous peut, dans le petit coin de terre qu'il occupe, jouir des richesses du monde entier, comme s'il était le maître de tout l'univers. Ainsi, à une table richement servie, les convives se passent les mets l'un à l'autre et chacun peut goûter à tout.
Les merveilles de la nature sont trop prodigieusement variées pour pouvoir être exposées dans un discours, si long qu'il soit. Comment un homme, créature si bornée, essaierait-il de mesurer la sagesse infinie de Dieu?
Quoi qu'il en soit, considère, ô homme , l'infinie diversité des plantes, tant celles qui portent des fruits, que celles qui n'en portent pas, et qui croissent, les unes dans les terres incultes, les autres dans les terres en labour, ou sur les montagnes , ou dans les plaines; vois cette infinie variété de graines, de végétaux, de fleurs, d'animaux, qui peuplent soit la terre, soit les eaux, ou la terre et l'eau indifféremment; songe que toutes ces choses visibles ont été faites pour nous, le ciel, la terre, la mer, et tout ce qu'ils renferment. Comme un roi construit un superbe palais, tout brillant d'or, tout resplendissant de l'éclat des pierreries: ainsi Dieu a bâti ce monde ; et après l'avoir fabriqué, il y a introduit l'homme afin qu'il ait l'empire sur tout ce que nous y voyons. Et ce qu'il y a de bien plus admirable, c'est que, pour former la toiture de cette maison, il a employé, non des pierres, mais une autre matière bien autrement précieuse. De plus, ce ne sont pas des flambeaux d'or qu'il a allumés dans les appartements : mais il a posé en haut de brillants luminaires, auxquels il a ordonné de parcourir toute la voûte de cet édifice : se proposant en cela non-seulement notre utilité, mais même notre plaisir. Quant au sol de l'édifice, il l'a paré et enrichi de toutes manières, comme on fait une table qu'on veut servir magnifiquement. Et ces choses, il les a données à l'homme, avant qu'il ait rien fait pour les mériter.
L'homme, après de si grands dons, s'est montré ingrat envers son bienfaiteur; et Dieu ne l'a pas même dépouillé de ses prérogatives en punition de son ingratitude ; il n'a fait que le chasser du paradis : encore n'a-t-il voulu, par ce châtiment, que l'empêcher de pousser plus loin son ingratitude, et de se précipiter dans des péchés plus énormes.
Considérant donc, à la lumière de l'inspiration divine, tous ces bienfaits, ainsi qu'une foule d'autres, et généraux et particuliers, et ceux que nous avons reçus dès l'origine, et ceux que nous recevons tous les jours; et ceux que nous connaissons, et ceux, beaucoup plus nombreux, que nous ne connaissons pas; envisageant de plus l'Incarnation du Fils de Dieu et les dons qui en découlent, soit pour ce monde, soit pour l'autre, l'Apôtre se trouvait comme plongé dans un immense océan de grâces, et il comprenait, à la vue de cette ineffable charité de son Dieu, qu'il avait contracté vis-à-vis de la divine Bonté des obligations sans nombre, dont il n'avait pas acquitté la plus petite partie. Pénétré de ces sentiments, il recherchait avec soin jusqu'à ses plus petits manquements, tandis qu'il oubliait ses bonnes oeuvres. Nous, au contraire, nous dont les péchés sont si nombreux et si graves, nous n'en tenons aucun compte, nous n'en parlons même pas. Mais, avons-nous fait la moindre bonne action , nous l'avons toujours à la bouche, nous ne cessons dé nous en glorifier, jusqu'à ce que nous en ayons, à force d'orgueil, anéanti le mérite qui était cependant déjà bien mince.
David, faisant aussi les mêmes réflexions, s'écriait : Qu'est-ce que l'homme, pour que vous vous souveniez de lui? (Ps. VIII, 5.) Dans un autre endroit, reprochant à l'homme son ingratitude, il disait: L'homme était en honneur, et il n'a point compris : il est devenu comparable aux animaux sans raison, et il s'est fait semblable à eux. (Ps. XLVIII, 12.)
