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Et maintenant, admirons tout d'abord la modestie et l'humilité de cet auteur. Il ne dit point: J'ai écrit un premier évangile, mais « un premier livre », jugeant ce mot, évangile, trop beau pour son ouvrage; et cependant l'apôtre assure que « son éloge se trouve, à cause de cet évangile, dans toutes les églises ». Il s'exprime donc avec cette exquise modestie: « J'ai écrit un premier livre, ô Théophile, de tout ce que Jésus a fait et enseigné». Et pour mieux préciser l'époque qu'embrasse sa narration, il ajoute: « Depuis le commencement jusqu'au jour où il monta au ciel ». Mais l'évangéliste saint Jean nous déclare formellement qu'on ne saurait écrire toutes les actions et toutes les paroles de Jésus-Christ. « Si elles étaient rapportées en détail », dit-il, « je ne crois pas que le monde pût contenir les livres où elles seraient écrites ». (Jean, XXI, 25.) Comment donc saint Luc dit-il qu'il a écrit un livre de tout ce que Jésus a fait et enseigné? Il suffit d'observer qu'il ne dit pas: J'ai écrit tout ce que Jésus a fait et enseigné , il dit seulement: « J'ai écrit un livre de tout ce que Jésus a fait et enseigné », c'est-à-dire, comme un abrégé qui comprend ce que ses miracles , ses paroles et ses actes nous offrent de plus essentiel et de plus important.
Remarquons ensuite combien est humaine et apostolique l'âme de saint Luc. Il entreprit cette oeuvre pénible et difficile, la rédaction de son évangile, pour le salut d'un seul homme, « pour vous faire connaître », dit-il, « la vérité « dès choses qu'on vous a enseignées ». (Luc, I, 4.) C'est qu'il avait médité cette parole du Sauveur Jésus : « Ce n'est pas la volonté de mon Père qu'un seul de ces petits périsse ». (Matth. XVIII, 14.) Mais pourquoi, au lieu de ne faire qu'un seul livre , adressé a un seul et même lecteur , a-t-il voulu diviser l'ouvrage en deux parties ? C'est d'abord calcul de prudence , pour ne pas trop fatiguer son lecteur, et puis C'est que les deux récits sont bien différents.
Mais , avant de poursuivre ce sujet, je veux vous faire observer comment Jésus-Christ lui-même a soin d'appuyer ses paroles de l'autorité de ses exemples; il exhorte ses disciples à la douceur, et il leur dit: « Apprenez de moi « que je suis. doux et humble de cœur ». (Matth. XI, 29 .) Il enseignait la pauvreté, et il la pratiquait si sévèrement qu-il pouvait dire: « Le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête ». (Matth. VIII, 20.) Il pria sur la croix pour ses bourreaux, et accomplit ainsi cette parole: « A celui qui veut disputer en jugement avec vous, et vous enlever votre tunique, abandonnez encore votre manteau». (Matth. V , 40.) Mais il a donné plus que ses vêtements , puisqu'il a donné tout son sang. C'est cette même règle de conduite qu'il a prescrite à ses disciples; aussi l'apôtre disait-il aux Philippiens : « Conduisez-vous selon le modèle que vous avez vu en nous ». (Philip. III, 17.) Et en effet, rien de plus froid qu'un docteur qui ne sait que discourir: il est moins un philosophe„ qu'un comédien. Les apôtres out donc voulu agir avant que de parler; et véritablement ils avaient d'autant moins besoin de parler, que leurs actions elles-mêmes étaient fané éloquente prédication. On peut aussi, en ce même sens, appeler la passion du Sauveur son oeuvre par excellence; car c'est en souffrant qu'il a réalisé l'oeuvre admirable de son triomphe sur la mort, et assuré notre rédemption.
« Jusqu'au jour où,il s'est élevé au ciel, instruisant, par le Saint-Esprit, les apôtres qu'il avait choisis ». « Les instruisant par le Saint-Esprit », c'est-à-dire, leur révélant une doctrine toute spirituelle, et nullement humaine.
Cette parole peut encore s'entendre dans ce sens qu'il leur enseignait ce que lui communiquait l'Esprit-Saint. Et c'est ainsi que Jésus-Christ, parlant humblement de lui-même, disait:,« Je chasse les démons par l'Esprit de Dieu ». (Matth. XII, 28.) Et, en effet, l'Esprit-Saint opérait en lui comme dans son sanctuaire. Mais quelles instructions donnait-il à ses apôtres? « Allez », leur disait-il, « enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; leur enseignant à garder,tout ce que je vous ai confié ». (Matth. XXVIII, 19.) Combien est glorieuse cette mission des apôtres, qui reçoivent l'ordre d'évangéliser l'univers, et dont les paroles seront remplies de l'Esprit-Saint ! Car c'est ce qu'indique cette remarque de l'écrivain sacré : « Jésus les instruisait par l'Esprit-Saint » , c'est-à-dire, que les paroles qu'il leur adressait étaient esprit et vie.
Or, saint Luc ne s'exprime ainsi que pour concilier aux apôtres la pleine confiance de son lecteur, et pour exciter en celui-ci le désir de connaître les secrets que Jésus-Christ leur a confiés. Et en effet, les apôtres vont parler selon l'inspiration de l'Esprit-Saint, et ils nous révéleront les préceptes qu'ils reçurent du Sauveur « jusqu'au jour où il fut élevé dans le ciel ». Saint Luc ne dit pas: Jusqu'au jour où le Christ monta dans le ciel, parce qu'il ne parle encore de lui que comme homme. Sans doute Jésus-Christ., après sa résurrection, avait donné plusieurs instructions à ses apôtres ; mais aucun des évangélistes n'a écrit en détail et avec soin cette partie de sa vie. Saint Jean et saint Luc s'y arrêtent; il est vrai , un peu plus que -les deux autres; et néanmoins leur récit est loin d'être précis et complet, car ils se hâtaient vers un autre but. Ce sont donc les apôtres qui , en nous rapportant ce qu'ils avaient entendu, nous ont fait connaître les derniers enseignements de Jésus-Christ. « Auxquels il se montra vivant ». Après avoir parlé de l'ascension de Jésus-Christ, saint Luc mentionne sa résurrection; et parce qu'il avait dit: « Il fut élevé dans le ciel » , il ajoute aussitôt qu' « il se montra vivant à ses apôtres », afin de prévenir ce doute qu'il ne se serait élevé dans le ciel que par un secours étranger. Car s'il s'est ressuscité lui-même , à plus forte raison a-t-il monté au ciel par sa propre vertu, puisque ce second miracle est moins étonnant que le premier.
