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Il en est de même du roi et du tyran: également favorisés par la Fortune, tous deux exercent leur autorité sur des milliers d’hommes. Mais celui qui cherche le bien de ceux qu’il gouverne, qui sacrifie son repos pour leur épargner des souffrances, qui s’expose au péril pour qu’ils vivent en sécurité, qui supporte les veilles, les soucis, afin que jour et nuit, ils soient exempts d’inquiétudes, c’est vraiment celui-là qui mérite le nom de berger, s’il conduit des troupeaux, et le nom de roi, s’il commande à des hommes. Mais pour celui qui, s’abandonnant à ses désirs déréglés, n’use de sa puissance que pour jouir; qui, se croyant le droit de satisfaire ses passions, opprime ceux qui lui sont soumis, et prétend n’avoir des sujets que pour en faire des esclaves dévoués à tous ses caprices; pour celui, en un mot, qui veut, non point engraisser son troupeau, mais s’engraisser de son troupeau, je l’appelle boucher quand son pouvoir porte sur des brebis, je le déclare tyran quand sa domination s’exerce sur des êtres doués de raison. Tel est le caractère distinctif de la royauté. Examine-toi d’après ce que je viens de dire. Si ce portrait de roi est le tien, alors tu peux justement te glorifier du titre auguste que tu portes; sinon corrige-toi pour ressembler à ce modèle. Je ne désespère pas de la jeunesse: elle peut toujours s’avancer dans le sentier de la vertu, pourvu qu’on l’aiguillonne; suivant qu’on la pousse, elle se jette aisément d’un côté ou de l’autre, comme ces fleuves qui se précipitent dans le chemin qui leur est ouvert. Un jeune prince a donc besoin que la Philosophie le tienne par la main, et l’empêche de s’écarter de la droite voie. Chaque vertu est tout près d’un vice, et l’on glisse aisément de cette vertu dans le vice qui l’avoisine. La tyrannie confine et touche à la royauté, comme la témérité au courage, et la prodigalité à la générosité. La fierté, lorsqu’elle n’est pas contenue par la Philosophie dans les limites de la vertu, devient, en s’exagérant, arrogance et présomption. La tyrannie n’est rien autre chose que l’excès de la royauté : prends-la en aversion; tu peux la reconnaître aisément aux traits sous lesquels je la représente. Mais voici surtout ce qui la distingue: le roi règle ses penchants d’après les lois; le tyran érige en lois ses penchants : mais si opposée que soit leur vie, ils ont cela de commun qu’ils possèdent l’un et l’autre tout pouvoir.
