2.
Quel excès de bonté pour le fils de Dieu que de devenir fils de l'homme, de demeurer, pendant dix mois dans le sein de sa mère, d'attendre patiemment le moment de la naissance, de se laisser envelopper de langes, et de passer par tous les degrés de l'enfance sous l'autorité de ses parents! Il se résigne aux injures, aux soufflets, à la flagellation; obéissant jusqu'à sa mort aux volontés de son père, il se soumet à la malédiction de la croix pour nous racheter de la malédiction de la loi; et il accomplit ce qu'il avait demandé auparavant en qualité de médiateur : « Mon père, je souhaite qu'ils ne soient qu'un en nous, comme nous ne sommes qu'un vous et moi. » Or, comme il était venu pour opérer par son ineffable miséricorde ce que la loi ne pouvait faire, c'est-à-dire pour nous sauver, il exhortait à la pénitence les publicains et les pécheurs, et il cherchait à s'asseoir à leur table afin de pouvoir les instruire; car dans toutes ses actions et dans toutes ses démarches ce divin Sauveur n'avait en vue que le salut des hommes, comme on peut s'en convaincre en lisant attentivement l'Évangile.
Mais c'est en cela même que les scribes et les pharisiens l'accusaient de violer la loi. « Voyez cet homme, » disaient-ils, « il aime à faire bonne chère, et il est l’ami des publicains et des gens de mauvaise vie. » Ils lui avaient déjà fait un crime de guérir les malades le jour du sabbat. Ce fut donc pour renverser leurs accusations par les efforts de la raison et de la douceur que Jésus leur proposa trois paraboles : la première est celle du pasteur qui, laissant ses quatre-vingt-dix-neuf brebis sur la montagne, en va chercher une qui s'était égarée et la rapporte sur ses épaules ; la deuxième est celle de la femme qui allume sa lampe pour chercher la drachme qu’elle a perdue, et qui, après l'avoir trouvée, invite en ces termes ses compagnes à prendre part à sa joie: «Félicitez-moi, j'ai retrouvé la drachme que j'avais perdue;» enfin la troisième est celle des deux enfants, que Votre Sainteté m'ordonne d'expliquer.
Quoique les deux paraboles de la brebis égarée et de la drachme perdue aient le même sens, ce n'est point ici le lieu d'en parler. Je me contenterai de dire que tous ceux à qui la pénitence n'est pas nécessaire doivent se réjouir de la conversion des pécheurs et des publicains, à l'exemple des anges et des compagnes qui se félicitent de voir retrouver la brebis et la drachme égarées. Tel est l'esprit de, ces deux paraboles. Aussi je suis étonné que Tertullien, dans son livre sur la chasteté, où il combat la pénitence et où il professe des opinions contraires aux traditions de l'Église, ait prétendu que les publicains et les pécheurs qui mangeaient avec Jésus-Christ étaient païens, se fondant sur ce texte de l'Écriture : « Aucun des enfants d'Israël ne paiera l'impôt. » Mais saint Mathieu n'était-il pas publicain et Juif en même temps, ainsi que cet autre publicain qui, priait dans le temple avec le pharisien et qui n'osait lever les yeux au ciel? Saint Luc ne dit-il pas aussi : « Le peuple et les publicains, ayant entendu la parole de Jean, bénirent Dieu et se firent baptiser?» D'ailleurs était-il croyable qu'un païen fût entré dans le temple, ou que Jésus-Christ eût mangé avec des païens, lui qui craignait sur toutes choses de donner atteinte à la loi, lui qui n'était venu que pour chercher dans Israël les brebis égarées, et qui répondit à la femme chananéenne implorant la guérison de son fils: « Il ne faut pas prendre le pain des enfants et le donner aux chiens; » lui enfin qui avait dit à ses disciples : « N'allez pas vers les gentils et n'entrez pas dans les villes des Samaritains?» Tout cela fait voir que par le mot de «publicain» on doit entendre, non pas les gentils en particulier, mais tous les pécheurs en général, soit Juifs, soit gentils . Tertullien en soutenant, selon les visions de ces femmes impies et insensées1, que les chrétiens ne doivent pas être admis à la pénitence, a donc eu tort de prétendre que les publicains n'étaient pas Juifs mais païens.
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Prisca et Maxilla, qui partageaient, ainsi que Tertullien, les opinion de Montan. ↩
