III.
Avec ma faible intelligence de romain, j'ai lu les écrits de votre grandeur; vous y montrez autant de colère contre la vérité, qu'Hortensias en montrait contre la philosophie. Avec un regard prompt et un esprit inquiet j'ai lu et relu, et partout j'ai reconnu l'habile orateur et presque, le dieu de l'éloquence ; mais nulle part je n'ai trouvé le chrétien niant tout, n'affirmant rien. Avouez que vous auriez dû montrer plus de science et moins de loquacité. Que votre sainteté me permette de le lui dire franchement : il m'a paru, bien plus je suis certain, que jamais vous n'avez été manichéen, que dès lors vous n'avez pu connaître les mystères du secret, et que sous le nom de Manès vous attaquez uniquement Annibal et Mithridate. D'un autre côté, je suis assuré que le palais d'Aniciana brille moins par l'éclat et. la richesse de ses marbres, que vos écrits ne brillent par leur éloquence. Si vous aviez consacré ce talent prodigieux à la défense de la vérité, vous auriez été le plus bel ornement de notre société. De grâce, ne luttez pas contre votre nature, ne soyez pas cette lance de l'erreur avec laquelle on perce encore la poitrine du Sauveur. Ne voyez-vous pas qu'il a été crucifié dans le monde tout entier et dans toute âme, quoique cette âme n'ait jamais eu de motif de s'irriter contre la nature ? Vous donc qui tirez d'elle votre existence, déposez, je vous prie, ces vaines accusations, oubliez ces controverses inutiles. Quoique placé pendant si longtemps, avec l'auteur de vos jours, au sein des ténèbres, jamais vous n'avez permis à l'insulte de souiller vos lèvres: et maintenant que vous vous trouvez entre le soleil et la lune, vous êtes devenu un indomptable accusateur. Qui donc vous défendra au pied du tribunal du souverain Juge, quand vous-même en êtes réduit à attester l'injustice de vos paroles et de vos oeuvres? Le Perse que vous avez accusé ne sera pas présent. Si ce n'est lui, qui donc voua consolera dans vos larmes ? qui sauvera l'Africain ? L'Evangile a-t-il été changé est-ce que ce n'est plus la voie large qui conduit à l'abîme[^1] ? Paul est-il menteur? Est-ce qu'il ne sera pas rendu à chacun selon ses oeuvres [^2]? Si seulement, en vous séparant de Manès, vous étiez entré à l'Académie, ou si vous vous étiez fait l'historien des guerres romaines qui ont soumis au grand peuple le monde tout entier ! Frappé alors des belles actions que vous auriez eues sous les yeux, vous, le grand admirateur de la pudeur et de la pauvreté, vous ne vous seriez pas avili jusqu'à vous réfugier dans la secte judaïque, aux moeurs barbares et dissolues. Mêlant aux préceptes des fables indignes, vous introduisez des paroles comme celles-ci : « La femme adultère ; vous vous créerez des enfants de fornication ; la terre se rendra coupable de fornications multipliées à l'égard du Seigneur[^3] ; vous ne laverez pas vos mains après l'acte conjugal; placez votre main sur mon fémur[^4] ; tuez et mangez[^5] ; croissez et multipliez[^6] ». Les lions pris au piège vous ont-ils plu, parce qu'il n'y avait pas de cavernes ? Avez-vous gérai sur la stérilité de Sara, quand son mari s'était fait le bourreau de sa pudeur en la disant sa sœur[^7]? Peut-être qu'après le combat de Darète et d'Entelle[^8], vous attendiez le combat de Jacob ? Vous disposiez-vous à contempler le nombre des Amorrhéens[^9] ou la foule des animaux renfermés dans l'arche de Noé ? Je sais que vous avez toujours eu ces objets en horreur ; je sais que vous avez toujours aimé les grandes choses capables de faire quitter la terre, gagner le ciel, mortifier les corps et vivifier les âmes. Qui donc a produit en vous un changement si subit ?
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Matt. VII, 13.
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Rom. XIV, 12.
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Osée, I, 2.
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Gen. XXIV, 2 ; XLVII, 29.
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Act. X, 13.
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Gen. I, 28.
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Gen. XII, 13, et XX, 2.
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Virg., Enéide, liv. V, vers 362-484.
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Jos. X, 5.
