V. 2
« Vanité des vanités, » dit l'Ecclésiaste, « vanité des vanités, tout n'est que vanité. » Si toutes les choses que Dieu a faites en créant le monde étaient bonnes et parfaites à ses yeux, selon le témoignage de l'Écriture dans la Genèse, comment l'Ecclésiaste a-t-il pu dire que tout n'est que vanité , et non-seulement que ce n'est que vanité, mais que c'est «la vanité des vanités? » car cette expression marque a grandeur de la vanité et le pur néant de toutes les créatures , de même que le nom de « Cantique des cantiques, » marque le plus parfait et le plus excellent de tous les cantiques et des pièces de poésie. Nous trouvons dans le psaume trente-huitième une manière de parler toute semblable : « En vérité, tout ce qu'il y a d'hommes qui vivent sur la terre ne sont que vanité ; » mais si les hommes qui jouissent de la vie sont regardés comme très peu de chose , et comme une vanité , nous pouvons dire que ceux qui sont dans le tombeau parmi les morts sont « la vanité des vanités, » c'est-à-dire : la plus grande de toutes les vanités.
Pour développer le sens de ces passages de l’Ecriture, qui ne paraissent pas être tout-à-fait d'accord, il faut se souvenir de ce que nous lisons dans le livre de l'Exode, où il est parlé de l'éclat du visage de Moïse , dont les rayons blessaient les yeux des Israélites, qui n'osaient envisager leur saint législateur qu'après qu'il avait couvert d'un voile son visage; mais quelque grand qu'ait été l'éclat du visage de Moïse, l'apôtre saint Paul ose nous assurer que ce n'était rien en comparaison de la gloire des ministres de la nouvelle alliance. « On peut même dire ( ce sont les paroles de l'Apôtre, II, Cor. 3, 10) que la loi n'a point été établie avec éclat et majesté, si on la compare avec la majesté divine de l'Évangile. » Nous pouvons donc raisonner de la même manière en expliquant les paroles de l'Ecclésiaste, et dire que le ciel, la terre, lamer et toutes les créatures de l'univers ne sont que vanité, si l'on veut les comparer à l'être souverain de Dieu et à la bonté infinie du Créateur, quoique d'ailleurs les créatures soient bonnes et parfaites en elles-mêmes, étant les ouvrages de Dieu qui ne peut rien faire qui ne soit hou et parfait en son genre; ce que nous allons encore mieux comprendre par la comparaison de la lumière d'une lampe avec l'éclat des rayons du soleil. Il nous arrive souvent d'admirer la beauté d'une lampe qui fait briller sa lumière au milieu des ténèbres; mais cette lumière disparaît entièrement et devient inutile sitôt que le soleil fait éclater ses rayons sur la terre. Les étoiles même, qui sont si brillantes pendant la nuit , perdent tout leur éclat et semblent n'être plus dès que le soleil a commencé à les obscurcir par sa lumière. La même chose m'arrive aussi quand je m'arrête à considérer la beauté et la diversité infinie des créatures : j'admire les éléments et tous ces grands corps de la nature, mais, faisant réflexion sur leur peu de durée et les voyant se précipiter vers leur fin, sachant d'ailleurs qu'il n'y a que Dieu seul qui soit toujours ce qu'il a été de toute éternité , je ne nuis m'empêcher de dire une et deux fois : « Vanité des vanités, tout n'est que vanité. » Les mots hébreux abal abalim, qui sont dans ce verset et qui signifient : vanité des vanités, ont été traduits par les Grecs atmos atmidon ; ce que nous pouvons appeler justement : une légère vapeur, un peu de fumée, un souffle de vent, à cause que toutes ces choses se dissipent et passent en un moment. Ces expressions nous font donc connaître la fragilité, l'inconstance et le néant de toutes les créatures ; car tout ce que nous voyons doit passer en peu de temps, et il n'y a que les choses invisibles qui soient éternelles.
Donnons encore un autre sens à cette explication, et disons que toutes les choses de ce monde ne sont que vanité, qu'elles passent comme une ombre et comme un souffle de vent, parce que les créatures sont toutes assujetties à une inconstance extrême et involontaire, et qu'elles la souffrent à cause de celui qui les y a assujetties en leur faisant espérer qu'elles seront enfin délivrées de cette servitude et de cette corruption , pour participer à la liberté de la gloire des enfants de Dieu; carrions savons que jusqu'à présent toutes les créatures soupirent et sont comme dans le travail de l'enfantement. Ajoutons à tout cela que nous ne connaissons les choses dans ce monde que très imparfaitement, que nos lumières sont presque des ténèbres. Or il est certain que tout n'est que vanité pendant que nous vivons ainsi au milieu de toutes sortes de défauts et d'imperfections, et que nous attendons pour arriver à un état de consistance et de perfection. Tamdiù omnia vana sunt, donec veniat quod perfectum est.
